A l'écoute de l'invisible... - Edito par Anouck Avisse & Sebastian Rivas
« L’univers, le cosmos est fait de ritournelles : la question de la musique est celle d'une puissance qui traverse la nature, les animaux, les éléments et les déserts non moins que l'homme ».
Portée par cette phrase du philosophe Gilles Deleuze, l'édition 2022 de la Biennale des musiques exploratoires interroge sur ce qui fait continuum entre la création musicale et d’autres formes d’expression artistique, entre le numérique et le vivant, l’individu et son environnement, le corps et l’esprit, la mémoire et le devenir.
Comment naissent les nuages, comment se construisent-ils dans leur évolution temporelle ? Ceux des données continues du big data, comme ceux des phénomènes météorologiques ? Quid des sentiments, des souvenirs, des rues de la ville et de la géographie des champs ? De la topographie incertaine de la mémoire ? Et la chorégraphie des corps qui marchent, qui travaillent, qui dorment, le transit de l’air, le passage des saisons ? Il y a dans la musique autant de flux qui se forment et s'agrègent, se transforment, disparaissent ou croissent et qui nous rappellent notre rapport fluide et changeant au monde.
Ces « Architectures Invisibles » posent la possibilité d’un écosystème spatio-temporel qui nous englobe et dont nous faisons partie : la condition d’un être-ensemble et celle d’un être à l’écoute.
Dans ce cheminement, nous avons rencontré l’œuvre et la pensée de l’architecte Philippe Rahm. Sa poétique et ses architectures de l’évaporation bâtissent des utopies concrètes et nous mènent vers la conscience d’un monde façonné de tout temps par le climat et les crises, d’un monde qui sonne, sent, évolue et respire. C’est par notre écoute active et exploratoire que nous pouvons goûter ces flux, ces continuum et ces formes que dessinent l’univers et la nature, autant que celles que composent, imaginent et bâtissent les femmes et les hommes par leur désir, leur faire, défaire et refaire.
C'est à une immersion de tous les sens dans la météorologie de la création que nous vous invitons : entendre ce qu’à a nous dire Tania Mouraud sur le monde qui nous entoure, jubiler au Sucre avec Ryoji Ikeda mais aussi au théâtre de La Renaissance avec la création mondiale de Cosmos de Fernando Fizsbein, parler oiseaux avec Clément Vercelletto et vibrer avec Florentin Ginot, Helge Sten et du krump aux Subsistances. Plonger aussi dans les Silences Inouïs de Farnaz Modarresifar par l’ensemble Court-Circuit, savourer le sémillant Ti,ci,ti,ti, timptru de Marc Monnet par l’Ensemble Orchestral Contemporain. Se délecter des subtils jeux de timbres du Riji de Lara Morciano par l’Orchestre National de Lyon, planer l’AO avec l’Ensemble intercontemporain et Grisey dont le Vortex Temporum (Tourbillon de temps) trouvera son écho dans la noise de Kasper Toeplitz au Périscope.
Retrouvons-nous au printemps 2022, formons des architectures invisibles, évaporées et éphémères parmi les autres pour savourer ensemble, assis dans une salle ou debout sur une esplanade…
Anouck Avisse & Sebastian Rivas
*Gille Deleuze, Mille Plateaux (Paris, Éditions de Minuit, 1980), p. 380.
*krump : danse urbaine née à Los Angeles dans les années 2020