Embodied garden

La miniaturisation des technologies numériques, leur portabilité, conduisent à la dissolution de la frontière qui sépare les corps des artefacts. Pour le musicien cela implique une « incorporation » de l’instrument et, ce faisant, une intériorisation de l’expression musicale qui transforme la performance en spectacle d’une expérience intime. Embodied garden nous montre l’image de Jean Geoffroy interprétant Virtual Rhizome, œuvre pour deux smartphones composée en 2018 par Vincent-Raphaël Carinola à partir du système SmartSolo développé par Christophe Lebreton. Virtual Rhizome adopte la forme d’un labyrinthe, une sorte d’architecture virtuelle qu’on pourrait rapprocher du « jardin aux sentiers qui bifurquent » borgésien, à l’intérieur de laquelle le musicien évolue en adaptant sa gestuelle aux contraintes propres à différents types de situations. Chaque situation se caractérise par un fonctionnement autonome du système que le musicien doit appréhender afin de trouver la clé lui permettant de le modifier et de se déplacer vers une autre situation. Mais pour bien s’orienter, il doit se créer une représentation mentale de la structure de l’œuvre. L’interprète se transforme alors en explorateur d’un monde qu’il dévoile. La force de Jean Geoffroy est de nous rendre perceptible cette intériorité de l’expérience musicale, en invitant le spectateur à le suivre dans son exploration. Ce faisant, son corps se transforme en support même de l’œuvre, en un objet esthétique que le visiteur peut approcher, se laissant alors envelopper par l’univers sonore spatialisé qui en est l’émanation, l’image musicale.

Vincent Carinola

Embodied garden est une nouvelle production d’arts numériques à partir de Virtual Rhizome, performance musicale créée en mars 2018, fruit d’un long processus de développement d’applications musicales gestuelles pour smartphone. Depuis son origine, le GRAME développe des interfaces gestuelles pour générer, contrôler le sonore et d’autres médias. Dès les années 2000, Christophe Lebreton, au sein de Grame, a imaginé et mis au point des outils permettant d’utiliser les capteurs embarqués, type accéléromètres, gyroscopes... pour réaliser des projets interactifs dans le domaine du spectacle, de la musique et de la danse. En 2013 l’équipe de recherche du Grame, via le langage de programmation FAUST conçu par Yann Orlarey, a permis de compiler des applications musicales exploitant les ressources des capteurs intégrés dans les smartphones. Dès lors, associant la puissance de calcul, croissante, des smartphones et de ces nouveaux outils de développement réalisés à Grame, Christophe Lebreton avec Xavier Garcia ont créé une première série d’applications instrumentales gestuelles nommées « Smartfaust ». Puis, le concept « SmartSolo » a permis de passer à une nouvelle génération d’instruments et oeuvres pour smartphones destinées au geste expert du soliste, avec une diffusion sonore puissante et de large bande passante (1). Lorsque l’on observe Jean Geoffroy jouer Virtual Rhizome, on est face à un interprète qui, par des gestes très aériens, presque minimalistes, à la limite de l’équilibre, invite naturellement le public à se concentrer sur le son, comme si le geste n’était plus que du sonore et rien d’autre... Cette perception étrange, a motivé James Giroudon à commanditer pour Grame une version sous forme d’une installation. L’image de Jean Geoffroy sera projetée sur un écran en plexiglass suspendu adapté à la rétro-projection et à l’échelle 1, augmentant cette perception flottante, virtuelle. La diffusion se fait via une quadriphonie directement issue des sorties stéréo des 2 smartphones.

Christophe Lebreton

(1) « SmartSolo » est une nouvelle API Faust pour Smartphone combinant plusieurs programmes sonores, en fonction des possibilités du moment, afin de permettre de libérer de la puissance de calcul. Il s’agissait aussi d’intégrer à cette API une nouvelle librairie pour le traitement du mouvement, notamment le « fusion motion » (maintenant disponible via les SDK iOS et Android).