La démocratie
Ailleurs, dans une splendide méditation sur la musique, le même Henri Michaux parle de celle-ci comme d’un art « qui frappe celui qui le fait entendre et celui qui l’entend dans un parallélisme unique. Cet art, parce qu’il reproduit en l’auditeur la trace même du passage subi par le compositeur, cet art qui a le pouvoir d’uniformiser les hommes, art naturellement social et qu’un gouvernement avisé pourrait donc diriger… »(2) La musique, art de la démocratie ? Alors il ne faut pas cesser d’œuvrer à sa démocratisation, trouver des trouées, des échappées loin des formats prévisibles, de ces flux et ces algorithmes qui uniformisent au mauvais sens du mot, nivellent en rabotant méthodiquement toute aspérité. Car ce mot de « démocratie » appelle nécessairement le politique. Il faut aller entendre Frédéric Pattar mettre radicalement en musique sur la place publique, avec pour seules armes une voix et une grosse caisse, la prosopopée rimbaldienne – en fait une virulente charge anti-colonialiste, plaidoirie grinçante pour la préservation de ces ailleurs, tous ces « pays poivrés et détrempés ». Entendre aussi le tombeau que Francesco Filidei a composé à la mémoire de l’anarchiste italien Franco Serantino, torturé à mort par la police en 1972... Elargir l’étymologie du terme composer, du latin « placer ensemble », pour lui donner une dimension universelle et non plus seulement formelle, spatiale, collective. Parce qu’il ne peut plus faire l’économie de celui qui le reçoit – parce que ce sont aussi, pour paraphraser Marcel Duchamp, « les auditeurs qui font la partition » –, le geste de composer est avant tout un acte d’échange.
(2) Henri Michaux, « Un certain phénomène qu’on appelle musique », in Encyclopédie de la Musique, t. 1., Paris, Fasquelle, 1958.